Malin Ackerman Légende : cet homme enjoué circule avec Malin Ackerman (>Source)

Chez REZOZAMBO, on se déplace. Pour travailler, on prend des métros, des trains, des bateaux des avions (en plus d'Internette). On est de partout, ubiquitaires et tout. On se bouge, quoâ, tu voâs. Et en plus l'époque est "à la mobilité". On ne cesse de nous le dire, alors nous, puisqu'on est attentifs à la com', on écoute et on se mobilite. Parfois, j'en ai même les jambes qui bougent toutes seules tant je veux coller à mon époque.

Hier soir je revenais de Cherbourg (1), regardant les joyeux codes couleurs plaqués sur le béton frais de la Gare St Lazare remasterisée depuis les travaux, les panneaux "Nouveaux itinéraires" et "Circulez malin" m'ont sauté au visage.

Surtout le deuxième : ''"Circulez malin"".

Je me suis dit : c'est vrai, tiens. Je me suis dit : la vache, j'avais jamais pensé à faire ça. Je me suis dit : merci les gars.

C'est sympa de la part de la SNCF qui vient de me faire voyager en wagon non chauffé (parce que bugs neigeux) de m'inciter à circuler "malin". J'ai soudain pris conscience que jusqu'alors, si je réfléchis bien il est exact que je circulais comme un con. Je sortais du train, je remontais le quai, je prenais le couloir en direction du métro pour rentrer chez moi. C'était un peu imbécile comme méthode. Là, soudain, ils peignent les murs et les piliers en pantone 285C, ils changent les couloirs... et voilà que je circule non plus comme un crétin, mais "malin". La différence, c'est juste que j'ai conscience, au lieu d'aller au métro comme un zombie, que je circule, mais en direction du métro, et surtout, en pleine conscience. Et on le sait, la conscience c'est ce qui nous distingue de l'animal. L'autre, là, qui circule aux phéronomes, lui. Un peu boeuf. Comme quoi ça consiste en peu de choses les moyens de s'élever un peu et de gagner en dignité.

En fait, cette communication de la SNCF m'a filé un véritable vertige. Je me suis dit que j'avais souvent vu ce mot là, le mot : "malin". On m'enjoignait souvent à "acheter malin", à "vendre malin", à louer, partir, manger, m'habiller "malin" et abruti comme je suis, je continuais d'acheter, vendre, partir, louer, m'habiller pas très futé. Juste normal. Et normal, c'est pas malin, faut bien reconnaître.

Je me suis dit alors : la com' de la SNCF me veut du bien. Ces gens là communiquent "malin", y'a pas de doute. Doit y avoir une bande de sacrés futés humanistes dans leurs bureaux. Je les imagine : ils se sont réunis. Le D.A. de l'agence de maîtrise de travaux a regardé ses collaborateurs et a tonné :
"Bon. Vu qu'on a bouché des couloirs et qu'on a ouvert de nouveaux passages, il faut parier que ces idiots vont continuer d'aller tout droit et on va crouler sous les accidents. ils vont se plaquer contre le nouveau mur en parpaings et les suivants vont les piétiner. Ca va nous coûter la poduc en procès et c'est pas bon pour l'image de la maison".
Un stagiaire dans le fond, voulant bien faire à levé le doigt et suggéré :
"On pourrait mettre des panneaux indicateurs comme à la Gare du Nord ?"
L'architecte a haussé les épaules. Tout le monde sait bien qu'on retrouve des cadavres desséchés de types morts de faim en cherchant la voie de RER. S'il y a bien un exemple à ne pas suivre... Mais bon, qu'attendre d'un stagiaire ?
Une jolie graphiste avec des bottes en caoutchouc à fleurs a proposé : "Il faut que les gens se prennent en charge : on va les inciter à mieux circuler.... "
Elle s'est pincé les lèvres et a ajouté, prise par une fièvre créatrice : "Et si on leur disait de circuler "malin" ? ".
Tout le monde s'est regardé autour de la table. Oui, bon sang, c'était la bonne idée. La SNCF allait renouer avec le passé, avec le bon vieux temps désuet du service public, quand les gens étaient des usagers, alors que maintenant, après 4h30 en vieux Corail, ils ne sont plus qu'usagés.
Ça c'est passé ainsi. Je suis certain. Ces gens là sont des communiquants. Ils savent y faire

J'en veux d'ailleurs pour preuve que c'est un bouleversement chez moi qu'ils viennent de créer. Désormais, je vais essayer de tout faire "malin" pour me distinguer du troupeau. Et si le troupeau se met lui aussi à faire le malin, je ferai encore plus malin. Par exemple, je vais prendre les couloirs à contresens. Parce que maintenant moi c'est parti : faut être malin, mais je serai malin et malin et demi.
Enfin, genre.
Francis Mizio

(1) Une ville qui connaît des problèmes de communication, cela dit en passant (lentement) : les magasins vides parce qu'on ne peut pas les ravitailler pour cause de neige ; 4h et demi dont 1 et demi de retard pour que le train, depuis Paris, y parvienne. La modernité, toussa.